Une journée lumineuse au cœur de la philosophie du Champagne Louis Roederer

Une journée lumineuse au cœur de la philosophie du Champagne Louis Roederer

Les lignes qui suivent font le récit d´une expérience unique, imprimée presque dans la tessiture joyeuse de la 6ème symphonie de Beethoven – dite « la Pastorale ». Tout avait commencé avec le premier mouvement – « Éveil d’impressions agréables en arrivant à la campagne » pour la récolte dans la parcelle « Milnon » à Dizy. Deuxième mouvement – « Scène au bord du ruisseau » qui sonne en quelque sorte comme le flux de « La Rivière », guidée à travers quelques parcelles et le conservatoire de vignes. « Joyeux rassemblement des campagnards » avec le « déjeuner du vigneron » autour d’un verre du légendaire Cristal 2008. « Tempête » avec le ballet dynamique en chargeant les Coquards au Vendangeoir Louis Roederer à Ay. Enfin, « des sentiments joyeux et reconnaissants après la tempête ». Toute ma gratitude va à Jean-Baptiste Lécaillon qui a progressivement construit une ascension extatique et esthétique, culminant avec une dégustation privilégiée dans les caves de Reims.

Le 15 septembre 2023, à 6h15 j’ai eu la joie de me trouver devant le portail des Caves Louis Roederer à Reims, invité par Jean-Baptiste Lécaillon – Chef de Caves et Vice-Président Exécutif de la maison. Le but d’une visite aussi précoce était d’être accompagné à travers l’un des voyages les plus délicieux et passionnant qui puissent être : vivre une journée de récolte avec l’équipe Roederer, guidée par son maître de chai emblématique. Ce fut une opportunité unique d´apprendre des meilleurs pour mieux comprendre la « quête du goût » par Jean-Baptiste. Un goût ultime, une recherche de la finesse que seul l´envers du décor de cette maison iconique peux nous dévoiler.

Jean- Baptiste Lécaillon a apporté un ouragan d’innovation tout au long de 20 ans de recherche. Aujourd’hui à sa 35ème vendange, la grandeur de son œuvre réside dans la façon dont les vignobles et les vins sur lesquels il veille, sont merveilleusement réceptifs à l’innovation issue de l’observation inlassable, de la réinvention du savoir-faire traditionnel. Amoureuse de musique classique, j´aime souvent dire que peu de chefs d’orchestre rendent justice au génie de Beethoven. Jean-Baptiste est l’un des rares chefs de cave à diriger le génie de la nature avec l’approche monumentale d’un Karajan, la maîtrise absolue du tempo de Carlos Kleiber, la plasticité de caméléon d’un Furtwaengler et le romantisme expressif, luxueux et textural de Fritz Reiner. Il est plus proche d’un Beethoven dirigeant Beethoven. Son orchestre garde le rythme du maître avec chaque accord.

« Éveil d’impressions agréables en arrivant à la campagne »

Peut être une image de 16 personnes et moto

Peut être une image de 2 personnesL’énergie était incroyable ce matin, à 7 heures, arrivés dans la parcelle de Pinot Noir en sélection massale « Milnon » à Dizy. Ici Jean-Baptiste m´a confié une épinette me permettant humblement de cueillir quelques grappes pour ses Coteaux Champenois, sous l’œil expert de Johann Merle. Un Pinot Noir cultivé à la perfection malgré le millésime « océanique ». La saison estivale généreuse en pluie généra des peaux plus fines et plus fragiles sur les raisins noirs en ce millésime, et plus particulièrement sur le Pinot Noir.

Dans le plus grand vignoble en culture biologique de la Champagne il n’est pas toujours évident de se mettre à l´abris de la menace du Botrytis dans ces conditions. De surcroit, une semaine de canicule en pleine vendange accéléra à la fois les maturités et la déshydratation. Le tri sévère sur pied fut clé, avec 30-40% des grappes rejetées, notamment quant à ces raisins pour l´élaboration de vins rouges en Coteaux Champenois. Après 24 heures de séjour en chambre froide à 4°C, un deuxième tri sur table permettra les sélections encore plus poussées des grappes, dotées de grains à l´image du caviar. Les vendangeurs reçoivent tous une formation, doublée des briefings matinaux pour une sélection de grappes la plus pointue, autant visuelle qu’olfactive. Les grappes sont senties non seulement dans la vigne, mais aussi sur la table de tri pour s´assurer d´une qualité impeccable surtout pour l´infusion en grains entiers.

Peut être une image de 2 personnes

Aucune description de photo disponible.Parlant strictement des Coteaux Champenois, Jean- Baptiste à fait revivre une production qui s´était arrêtée chez Roederer avec le millésime 1961. La maison produit aujourd´hui trois vins tranquilles sous le nom Hommage à Camille : un blanc issu de la parcelle « Volibarts » sur le Mesnil-sur- Oger, et deux rouges : « Charmont » et « Milnon ». Si l´optique du mono- cru pourrait faire penser à la Bourgogne, le chef des caves pense que la clé des nouveaux Coteaux Champenois ne réside pas en une copie de leurs grands frères bourguignons. Il souhaite leur imprimer une vision singulière, basée sur la finesse, la digestibilité, ou la veine crayeuse de la Champagne puisse se révéler au sein d´une construction quasi mathématique de leur texture. Il souhaite prendre son temps pour individualiser l´unicité d´un Pinot Noir ou un Chardonnay tranquilles de la Champagne. La quête ultime de la finesse, de la pureté crayeuse se doit combiner avec style typé, indentifiable par son toast qui imprime sérieux, complexité et se prête à la garde. Il se donne pour cela entre 10-15 ans afin d´amener ses Coteaux Champenois au pinacle vers lequel ils tendent déjà.

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« Scène au bord du ruisseau »

Aucune description de photo disponible.Aucune description de photo disponible.Ma journée immersive s´est poursuit avec une visite des parcelles expérimentales et du conservatoire des vignes en compagnie de Jeannic Baudoin – Chef de culture du secteur du vignoble de la Rivière. Cette pépinière sans pareil en Champagne est née des meilleures sélections massales des boutures de Chardonnay et Pinot Noirs au cœur des parcelles emblématiques du Domaine Cristal, telles La Gargeotte, Goutte d´Or, Bonotte Pierre- Robert…Ce travail d´expérimentation s´étant aussi á une sélection de porte-greffes répertoriées sur le site de Bouleuse. La maison se positionne ainsi dans une recherche de long terme depuis déjà 20 ans mais avec un rayonnement sur les 30 prochaines années, ayant pour but de rendre les plantes plus résilientes et plus réactives face au changement climatique. Ces recherches s´appliquent aussi aux techniques de taille douce, visant les meilleurs flux de sève en même temps qu´éviter les maladies du bois. Si les nouvelles directives en Champagne permettent des essais sur les plantations en vignes semi- larges (6000 pieds/ha), Jean- Baptiste au contraire remonte ses densités de plantations depuis le classique 8300 pieds/ha à 10000, avec des parcelles à 12000 pieds. Ses essais sur les nouvelles tendances de plantations semi-larges ne l´ayant pas convenu, il se proclame plutôt un adepte de vignes plus denses qui descendent plus profondément dans le réservoir d´eau de la craie. Grand amoureux de la taille Chablis, il s´exerce à l’essayer aussi en dehors du classique Chardonnay, se basant sur des anciennes traditions quand ce système de taille et conduite n´étaient pas seulement associé aux raisins blancs. Son crédo se base sur les vertus de cette taille à générer moins de maladies, moins de vieux bois, á être moins gourmande en eau, à apporter une notion élévatrice au port de la vigne a contrario de ces racines plongeantes.

Peut être une image de serre froide

« Tempête »

Accueillie au Vendangeoir Louis Roederer d´Ay – un des trois centres de pressurage de la maison, Jean- Baptiste ma guidé dans la compréhension de cette opération clé du savoir-faire champenois. Si seulement 28% des maisons sont encore équipées de Coquards traditionnels, Jean- Baptiste le considère essentiel pour le pressurage doux du Pinot noir, réservant les pressoirs pneumatique d´Avize au travail du Chardonnay. En effet ce dernier semble mériter une presse plus dynamique afin de lui attribuer plus de précurseurs d´arômes et plus de relief tenant sur des beaux amers.

« Joyeux rassemblement des campagnards »

Peut être une image de 1 personne, vin et chêne argenté

Le temps du déjeuner venu, le maître nous a présenté son opus parmi les plus emblématiques – Cristal 2008 qu’il appelle lui-même le « Cristal des Cristal». La pureté lumineuse, avec une touche exotique et une fraîcheur immaculée s´accompagnent de teintes de cédrat confit, le croquant de poire granuleuse ponctué d´amande. Le toast délicat empreint le fond de craie d´un crémeux profond. Bouche gracieuse tissée de pétillance aérienne, il s´articule sur une veine cristalline qui entraîne une structure encore serrée à travers la texture délicate. Imprégné de finesse en filigrane et de profondeur de saveurs, son cœur de bouche incarne une luminosité absolue avec une immense profondeur saline, un grain dense et une touche de zeste confit. Une lumière à boire qui donne l’impression d’émerger dans l’une des versions les plus solaires, cependant les plus profondes, du concerto pour violon de Beethoven, opus 61 en Ré majeur, dirigé par Daniel Barenboim à la tête du Berliner Philharmoniker, avec la performance géniale d’Itzhak Perlman au violon.

Peut être une image de champagne

« Des sentiments joyeux et reconnaissants après la tempête »

Après un détour dans les parcelles emblématiques du Vignoble de la Côte, Jean- Baptiste m´a reconduit aux Caves dans les coulisses de son laboratoire de création. Epilogue. Ce « final » fut magistral en sillonnant entre les cuves en fermentation pour une mise en bouche de ce millésime 2023. Cette dégustation faisait écho á notre discussion lors du déjeuner, concernant son sentiment que le millésime partait sur un schéma similaire á 2002. L´ordre de vendange des parcelles est par ailleurs similaire, mais les deux années se rapprochent aussi en d’autres termes, lors du cycle végétatif. Ce sentiment qui se préfigurait déjà en juin, est-il annonciateur d’un autre millésime idéal à l’image de 2002 ?

Peut être une image de 1 personne Les quelques dégustations des jus, dont certains déjà avancés dans leur fermentation, semblent conforter cette hypothèse qualitative :

  1. Oger Grand Cru « Pierre Vaudon » – notes de poires, mais encore à même le raisin avec un toucher de bouche et une finale grainée.
  2. Verzy Grand Cru « Champs Romés » – délicatesse de la pêche, veine crayeuse, poudrée et structurante.
  3. Avize Grand Cru « Les Plâtres » – déjà aérien, entre agrumes et le croquant de pomme, cadré par une veine linéaire, tendue qui rencontre une densité saline.
  4. Avize Grand Cru « Pierre Vaudon » – intense, plus riche, centré sur une mâche structurante, de grain pierreux.
  5. Cumières 1er Cru « Les Chèvres » travaillé différemment cette année, sans la perspective du « Brut Nature » – texture plus large et structure précise, focussée.
  6. Cumières 1er Cru « Côte à Bras » – « en mode caviar » pour citer Jean-Baptiste – une infusion pour le Rosé Vintage, il enchante par ses baies rouges et les arômes de pivoine capiteuse, sa texture soyeuse, le grain poudré et un superbe juteux, finissant salin.
  7. Aÿ Grand Cru « La Villers » Quelle apothéose avec cette « coda » fervente du dernier mouvement symphonique du maître – infusion à froid au 5ème jour qui entrera dans le Cristal 2023 – fruits noirs plus profonds, épices, un superbe tactile enveloppant le cœur charnu, tout en dévoilant le germe d´une acidité précise et ample. Sa touche granuleuse se prolonge sur la finale persistante de craie saline. L’émotion serait le mot, tout comme après une grande symphonie.

Entrer dans l´antre de l´esthète Jean- Baptiste Lécaillon, m´a permis non seulement de découvrir un personnage emblématique de la Champagne, mais aussi un homme d´un grand universalisme doublé d´une immense modestie face à la nature. Il est à la fois le vigneron sensible aux rythmes naturels et le maître bouillonnant de création, sans jamais se croire par-dessus de la vigne et des vins. A travers son œuvre dévoilée en partie lors de cette journée, nous comprenons bien sa promesse pour des vins d´une grande précision, finesse, dotés d´une nouvelle fraicheur qui tient sur la vibrance aromatique et la tension des beaux amers murs et sapides, permettant une révélation de la dimension crayeuse de ses terroirs. Sa quête du goût ultime et de la finesse, s´inscrit de ce fait dans une réelle optique d´artisanat, tel révélé par cette délicieuse journée de vendange éducative à la Maison Louis Roederer.