Un apéritif qui s´invite à table… le vin rosé
Le vin rosé n’a pas de définition figée, mais représente un ensemble complexe et diversifié. C’est un vin qui démultiplie ses facettes en fonction de son élaboration, de l’expression de son terroir, des modes de consommation, des modes tout simplement, de l’air du temps…
Malgré ce que l’on peut croire, le vin rosé est l’un de plus difficile à produire, car il demande beaucoup de technicité. Pour les vignerons soucieux du moindre détail, la notion de rosé s’établit dans la vigne : quel sol ? quels cépages ? quels clones ? Pas de coup de chaud, pas de stress hydrique, les baies doivent avoir une fermeté moyenne, une peau assez friable et digeste, à coloration homogène, peu astringente et peu acide, une pulpe juteuse, fruitée. Après la culture presque mathématique, l’élaboration s’accompagne d’une grande précision. Afin de définir sa couleur, sa structure, son identité, chaque seconde et chaque geste comptent, ce qui demande une rigueur presque militaire !
Je laisserai les œnologues parler des modes d’élaboration du rosé (que ça soit la saignée ou bien le pressurage direct). De manière technique, les vins « à couleur claire » semblent antérieurs aux rouges qu’on connaît aujourd’hui. De nombreux récits historiques (Pline, Columelle, etc.) parlent aussi d’une couleur intermédiaire classée comme vin à part entière.
La Provence, région viticole française la plus ancienne, semble aussi être celle qui a vu le début du vin rosé. Aujourd’hui elle reste toujours fidèle à cette couleur, bien qu’elle soit un grand terroir de rouges et qu’elle offre de très beaux vins blancs.
Plutôt que de parler « rosé », parlons « rosés », car l’ensemble des ambassadeurs de cette couleur propose une fascinante variété ! Prenons le cas du Bellet Rosé : un vin inimitable, ou le cépage Braquet donne une texture moelleuse et délicate, soutenue par une structure qui le qualifie de vin de gastronomie. Ses parfums sont aussi surprenants, on y retrouve souvent une onde minérale presque saline- iodée, marque de son terroir inconfondable (le « poudingue » qui pare la colline niçoise). Réglisse, senteurs anisées, orange sanguine, touche florale, nous sommes en Provence, sans vraiment l’être ! Sa robe pastel, presque saumonée contraste avec celles des Côtes de Provence plutôt claires et aériens.
De terroir en terroir (Fréjus, La Londe, Pierrefeu, Sainte- Victoire pour mentionner seulement ceux qui bénéficient d’une appellation de type « cru ») les Côtes de Provence Rosés représentent tout un monde, un univers de styles. Tantôt pétale de rose, soulignés par la finesse, la douceur du fruit, toute en dentelle comme le Château La Tour L’Evêque « Pétale de Rose » à Pierrefeu, tantôt soutenus, gourmands, avec une trame épicé tel le Domaine Gavoty « Clarendon » à Cabasse (pourtant pas très loin).
Certains sont amples et enveloppants comme ceux de Jérôme Paquette sur les rhyolites et porphyres volcaniques de Fréjus, aux teintes pastel rappelant les peintures de la Renaissance, telles qu´on les découvre au musée Fra Angelico de Florence, d’autres montrent une certaine tension, tout en gardant un style soyeux – Château Barbanau « Et Cae Terra » situé non loin de Cassis, à Roquefort-la Bédoule, respirant directement la brise marine mais en hauteur. Quant à ceux de la zone récemment promue au rang de « cru » – Notre Dame des Anges, ils nous donnent une sensation de fraîcheur caractéristique de cette vallée intérieure, un couloir à la géologie complexe et aux amplitudes thermiques marquées entre le jour et la nuit. Château Demonpère apparaît comme un port de drapeau dans la région et se démarque à travers le style aérien, avec des teintes d’agrumes, de pamplemousse, par le caractère zesté et sapide, sa finale fraîche et pierreuse.
La fraîcheur progresse positivement à mesure que l’on se rapproche de massif calcaire de la Sainte Victoire où les couloirs de ventilation et les nuits fraîches se combinent avec l´éloignement par rapport à la Méditerranée et donnent un esprit structuré par l’acidité plus marquée.
Le Bandol, au fief du roi Mourvèdre, se montre typé, la grâce d’un vin rosé côtoie les épices, le minéral savoureux, le caractère sauvage. A Palette on pénètre dans la profondeur de ses rosés à la robe soutenue, issus de collection de cépages et habitués au bois, tels des grands vins. Leur garde est impressionnante, à l’exemple de ce que nous offre le seigneur Château Simone.
D’autres appellations provençales donnent des rosés sapides, parlant de leur terroir rocailleux et solaire, comme le rosé du Domaine Hauvette, qui nous rappelle la chaleur des pierres des Baux-de-Provence, plus proche des expressions rhodaniennes, que de la Provence. Le Coteaux d’Aix- en-Provence Rosé de Peter Fischer, Chateau Revelette inspire la garrigue et les baies sauvages, soutenu par une structure sérieuse et sapide.
Dans d’autres contrées, le rosé oscille entre clair et soutenu, du sec au tendre pour aller jusqu’au liquoreux, du tranquille passant par le pétillant jusqu’à l’effervescence racée. La France et le monde nous offrent des multiples exemples. Voilà comment nous pouvons faire valser les rosés autour de la gastronomie :
Pour l’apéritif, s’il faut rester local, j’aime accompagner des crevettes marinées à l’orange et aux baby fenouils avec un verre de Côtes de Provence Rosé Château Barbeyrolles « Pétale de rose ». Si l’on préfère la fine bulle fondante, le fruit pulpeux et intense, on peut déguster le Posecco Bottega Rosé en compagnie d’un flocon gourmand de burrata, brunoise de tomate datte et fraise gariguette, huile d’olive et fleur de thym.
Pour une entrée mi canaille, mi coquette, un tartare de bœuf et huîtres au couteau, le Bandol du Domaine Tempier Rosé, au toucher délicat, fruit tendre et fond minéral rappelant l’iode de l’huître. Et si le tartare oublie sa sauce classique et se décline au naturel, avec de la pulpe de mangue et nuage d’émulsion au wasabi, laissez-vous tenter le caractère généreux, épicé et structuré d’un Tavel. Personnellement, j’aime beaucoup la cuvée „Tendance Caladoc” du cépage homonyme (donc en IGP non pas en AOC) du producteur de Châteauneuf-du- Pape, Olivier Mousset).
Avec un pavé de loup aux senteurs anisées, sauce aux coraux d’oursins, j’irais sans hésitations vers le Bellet Rosé du Clos Saint Vincent, au toucher caressant, voile pierreux-iodé et tonalités d’anis qui accompagnent un fruit frais aux jolis amers nobles. Autre suggestion pour ce grand vin de repas, une royale de foie gras, émulsion de châtaignes à la réglisse, et le Bellet de Joseph Sergi passe à table en dehors de la saison d’été !
Continuons avec une caille désossée, à la fine farce aux épices masala et raisins secs, confite en cocotte sur lit de foin fumé et ses petits légumes glacés- accord surprenant avec un champagne mature : Moët & Chandon Vintage 1990. Ces parfums suivent note à note le plat : le fumé, les épices, le caractère mur du fruit. Un grand vin. Autre choix serait un Palette Rosé du Château Simone, avec quelques années de bouteille.
Pour un filet d’agneau un peu surprenant, aux résonances japonisantes : le carré saisi à la poêle, passé au four juste 5 minutes à 80°C, repos détente encore 5 minutes au chaud doux et découpé comme des sashimis, sauce Ponzu. Ce plat me donne envie de l’accompagner d’un vin roumain de la région de Dealu Mare – Hyperion Exclusive Feteasca Neagra, pour avoir un fruit sincère évoquant la grenade, la cerise, ainsi qu´une fraîcheur agréable avec une structure élégante et gracieuse, sous un voile floral aux teintes d’épices.
Certains fromages, par exemple le Chaource, trouvent des excellents accords régionaux comme le Rosé de Riceys, par exemple celui du producteur de Champagne Alexandre Bonnet. Avec des fromages qui aiment la Bourgogne (Brillat- Savarin, Charolais), un magnifique Marsannay Rosé « Fleur de Pinot » de Sylvain Pataille, qui propose le nez d’un grand blanc avec tout son fumé- grillé, crémeux à souhait ! Une découverte rarissime…
Pour un dessert rafraîchissant, des fraises des bois avec une quenelle de sorbet de lait de buffle- une pure gourmandise, le Bugey Cerdon de Renardat- Fâche, aux parfums de fruits de bois et grenadine, à la bulle crémeuse et titrant seulement 7.5 %vol. ! Ou bien un accord de contrats : Rhein Extra Rosé Brut, avec ses arômes de baies rouge et de pivoine en fleur, dosage tendre, bulles minuscules, et toniques animées par une tension presque électrique !
Jouons la carte de l’exotisme : un entremet composé d’un biscuit « génoise », surmonté d’une mousse d’ananas rôti aux zestes de limette, au cœur de gelée d’hibiscus confit avec le Trochenbeerenauslese Rosenmuskateller « Nouvelle Vague » d’Alois Kracher, de la région Neusiedlersee, en Autriche. Cette sélection de grains nobles de Muscat rosé affiche des parfums de fruits tropicaux sous un voile finement fumé et parsemé de notes de clou de girofle. Sa bouche combine à merveille la liqueur avec la fraîcheur, dans un univers à la fois confit, abricoté et digeste. Pour aller encore plus loin dans la découverte on peut choisir une Busuioaca de Bohotin de la maison Crama Budureasca ou Crama Basilescu, dans le Piémont des Carpates roumains (régions Dealu mare ou bien Pietroasele). Ces vins sont issus de raisins de couleur grise- rougeâtres- violacés du cépage homonyme « Busuioaca », vendangés en surmaturation et laissés souvent en macération pelliculaire. Le résultat est un vin à robe orangée- pelure d’oignon ou bien plus soutenu et nez aromatique à l’image d’un muscat, aux accents de rose et fleurs de basilic.
J’aurais pu aussi vous parler des rosés tendres et demi- secs du Val de Loire, tel le Cabernet d’Anjou, ou bien des rares Clairets Bordelais comme celui du Château Massereau… Depuis peu de temps le Porto se décline en rosé, également, précurseur étant la maison Croft avec un « Pink » gourmand et charnu, à boire tel quel à l’heure de l’apéritif ou en cocktail…Mes quelques pages ne se veulent qu’une mise en bouche pour explorer l’univers des vins rosés !