L´univers de la Rakija serbe avec Dr. Ivan Urošević
Article basée sur la conférence de Dr. Ivan Urošević – Distillerie TOK – « La production des Rakija de prunes »
La Rakija est une des boissons les plus produites et consommées en Serbie et dans les Balkans.
Mais qu´est la Rakija ?
La définition de la Rakija :
- Produite entièrement par la fermentation des fruits et distillation du produit fermenté – le produit fermenté arrive a 7- 8 % vol. ;
- Maximum de 86% vol. à la sortie de l´alambic pour préserver le gout du fruit ;
- Minimum 37,5% vol. pour la commercialisation ;
- Pas d´additifs, pas d´arômes.
Un peu d´histoire
Les premières lois apparurent sous l´empereur Dušan en 1354. A travers le XVIème siècle la consommation n´a fait qu´augmenter, malgré la colonisation ottomane (1459 -1830).
Les plus importants centres de production attestés furent depuis toujours : Uzice, Tuzla, Sarajevo, Foča, Zvornik, grâce à la bonne altitude (avec 400- 600 m pour une altitude optimale, mais les pruniers peuvent pousser jusqu´à 1000m).
La Rakija a joué un rôle majeur dans la vie des locaux, considérée comme médicament dans le temps mais aussi comme moyen de capitalisation, d´investissement, sans oublier que cette boisson fut toujours l´accompagnant traditionnel pour la nourriture.
Šljivovica – la rakija de prune représente plus de 60% du marché.
Variétés de prunes :
Požegaca – la plus ancienne, aujourd’hui elle souffre de virus, de ce fait les spécialistes considèrent que dans les prochains 10- 15 années elle risque de disparaitre, elle possède les aromes les plus complexes.
Crvena ranka n’a pas de problèmes de virus, tout en étant aromatique. Cette variété est aussi moins adaptée á d´autres fins tels les confitures, compotes etc, qui sont aussi des usages traditionnels.
Čačanska Rodna très versatile (utilisée pour le séchage, confitures, jus, rakija) et Čačanska Lepotnica – produites dans les instituts, avec des excellents résultats.
Stenly – variété américaine qui a surplanté la production. Malheureusement cette variété a apporté aussi les virus des Etats Unis. C’est la plus adaptée pour le séchage, car elle est d’un grand calibre et très productive. Elle entre souvent en assemblage.
L´assemblage est très courant, mais de plus en plus de producteurs se focalisent sur les mono- variétaux pour se différentier sur le marché. Malheureusement au milieu du siècle passé, la recherche portant sur les variétés s´était arrêtée, pour des raisons financières. Elle renait petit a petit aujourd´hui.
Les étapes de la production :
- Récolte a la maturité optimale
- Dénoyautage, car le noyau possède de l´acide cyanique ;
- Fermentation avec ou sans levures sélectionnées – dans la production domestique on n´utilise pas de levures, mais dans les productions industrielles l´usage des Saccharomyces Bayanus est courant. Cette dernière fermente plus rapidement, ne produit pas des arômes, elle laisse plutôt s´exprimer les arômes naturels des fruits ;
- Double distillation en alambic en cuivre ;
- Maturation 6 mois ;
- Réduction au pourcentage optimal d´alcool ;
- Filtration et stabilisation.
Qu´est la maturité optimale du fruit ? Les prunes sont récoltées entre le troisième quart de juin et jusqu’à la fin de septembre, avec un taux de sucre de 10- 16%, jusqu´à 22-23% selon les années, acidités de 2-5%, le noyau représentant 6- 10% du fruit.
Le noyau doit être extrait tout de suite à la récolte, opération qui peut se faire soit à la main, notamment pour la production domestique, soit à la machine. La même machine est utilisée afin de malaxer les fruits et de les transformer en une purée. Après avoir enlevé les noyaux, les enzymes pectolitiques sont ajoutés. Elles ont davantage utiles pour les coings et pommes, plus riches en pectines, mais s´emploient de plus en pour les prunes pour faciliter le déroulement de la future fermentation.
La fermentation se passe dans des cuves en polyester ou inox de capacité de 500 à 20000 litres. La production domestique n´utilise pas les levures, ni la température contrôlée. La fermentation peut durer de 7 à 20 jours, cette dernière peut varier en fonction de la température et du type de levures utilisées.
La distillation à repasse est utilisée à 98% en alambic en cuivre, telle que la veut la tradition. Les alambics utilisés dans la production domestique sont petits de 80- 220, l alors que les producteurs industriels utilisent des alambics de type Charentes allant jusqu’à 1000 l.
La première distillation produit la « meka », une rakija basse titrant 25- 30% vol. Elle servait dans le temps pour la consommation courante. La seconde distillation est classiquement fractionnée en trois parties :
- Les têtes titrant 86-75% vol. représentent 1 à 15 % de la quantité. Pour une rakija blanche il est commun d´enlever plus de tête. Pour les rakijas vieilles, l´usage est de laisser davantage de ces têtes, car les aldéhydes présentes dans cette fraction sont intéressants pour les réactions avec le bois.
- Le cœur titrant 65-55% vol représente entre 85- 25 % de la quantité selon les usages
- Les queues sont les moins alcoolisés mais très riches en aromes, certaines pas forcément intéressants et représentent 3-25% de la quantité.
Les composants solubles et non solubles interagissent dans la première distillation, car le produit fermenté obtenu n´est pas totalement liquide. Dans la deuxième distillation, seul les composants solubles sont pris en compte. Le pH habituel est d´environ 3.2, ce qui aide à la stérilisation du produit, surtout les années à intempéries. La distillation dure entre 2-3 heures dans les petits alambics, 4- 5 heures pour les plus grands. Plus la distillation est lente, plus on obtient des composants glycérinés. Mais une distillation longue peut mener aussi a des oxydations. Le cuivre reste le meilleur catalyseur des estérifications, cela ne se produit pas avec l´inox.
La présence de méthanol est importante dans les distillations. Il s´en dégage plus dans le distillat de pomme ou de coing. Le problème du méthanol, se pose beaucoup sur les marchés, comme celui des Etats Unis (les produits dépassant 3 mg/ l entrent dans les catégories ordinaires, alors qu´une rakjia a souvent 4-6 mg/l). Les seuls moyens disponibles pour en produire moins, est de ramasser des prunes moins mures, jouer sur le pH mais aussi en ajoutant une colonne de rectification. Les essais sur les osmoses inverses ne sont pas satisfaisants, cela enlève aussi d´autres molécules et aromes. Les assemblages permettent aussi de réduire les taux de méthanol.
La maturation en bois n´est pas obligatoire, mais certaines rakija peuvent être maturées pendant 25 ans.
Le bois utilisé peut être Q. Sessiliflora, Q. Robur mais sont aussi utilisé l´acacia et d´autres essences, le meilleur reste néanmoins le chêne. La part des anges est de 3-4%, souvent plus importante si les contenants sont petits. En 10 ans, certains futs peuvent perdre presque la totalité de leur contenance, sans améliorer pour autant la qualité. Le bois d´acacia reste très traditionnel mais dans la production industrielle, seul le chêne est utilisé.
Tous les distillés doivent passer 6 mois pour se stabiliser soit en inox, soit en bois. Après cette période la réduction s´obtient avec de l´eau distillée. Le produit est amené à des températures proches de 0°C jusqu´a –10°C pour quelques jours avant d´être filtré. Les seuls produits pouvant être rajoutés sont le caramel (1 ml/ max.) et le glycérol (1-1,5 mg / l).
Dégustation :
TOK Alba 43% vol. Nez floral, lacté, nuancé de prune fraiche, le caractère lacté pourrait présager aussi un surplus d´apport des queues. Grasse, douce a l´attaque, texturée mais restant fraiche avec un alcool bien intégré. Légère chauffe en fin de bouche avec une note poivrée en finale.
Zlatni TOK 05 43% vol. Ambrée. Le nez se concentre davantage sur la prune, complété par les épices du bois, suggérant une touche de cannelle, de vanille. L´attaque est riche et douce avec une parfaite intégration de l´alcool, elles se structure par une légère mache tannique. Le cœur de bouche est moelleux avec une finale précise et épicée faisant résonner la cannelle, le girofle. La retro- olfaction apporte une teinte de tabac blond et de bois précieux.
Stara Sokolova 12 ans 40% vol. Montrant une couleur plus ambrée, son caractère rappelle une eau de vie de vin, car vineux, épicé, avec une légere volatile, de facture très sophistiquée. Vanille, bois précieux, santal, raisins secs et miel se mêlent aux notes de pruneaux arrivant en toile de fond. Le palais est soyeux avec une douceur digeste, les tannins, qui sont fins et poudrés, épicés évoquent les cannelle et girofle, avec une pointe de vanille, de cèdre. La finale est longue, cacaotée, avec des touches de raisins secs.
Kraljica se montre moins complexe, plus orientée vers la prune, avec touche d´amande et petite sensation d´amertume au nez. Notes de biscuit a la cannelle apparaissent en toile de fond, avec une touche fumée, plus terrienne. Palais soyeux avec une fraicheur surprenante, nuancée d´amande et d´une touche de cannelle, les tannins du bois sont légers et intégrés, sans chauffe et de finale précise.
Gorda 8 ans nez discret, offrant toast et fond lacté, avec une note terreuse et touches d´amandes. Peu de fruit, la texture lisse et satinée, relevée par une pointe épicée sur le poivre et le girofle. Finale tannique et chaleureuse, épicée, nuancée de la douceur du miel et du fruit sec.