Les différences stylistiques générées par les divers moto – conférence pour Sakeist par Julia Scavo DipWSET

Ichi: koji. Ni: moto. San: tsukuri – premier – le koji, deuxième – le moto, troisième – le brassage. Voici une phrase qui témoigne de l’importance du moto. Mais qu’est la moto ? Le Moto ou Shubo est une culture mère, un « pied de cuve » qui se prépare en mélangeant du riz cuit à la vapeur, du kōji, de la levure et de l’eau. Cela devient alors le point de départ du processus de fermentation dans le moromi principal, c’est en quelque sort la « mère » ( bo) du « saké » ( shu). Il n’y a plus à écrire de l’importance du moto/ shubo aujourd’hui, tellement les textes abondent. Cependant le choix du moto/ shubo impacte profondément la stylistique du saké en termes aromatiques, d’acidité et d’umami en corrélation avec le taux de polissage, le choix de la levure et les paramètres de la future fermentation. Les lignes qui suivent retracent l’histoire des divers moto/shubo, s’intéressent en détail à leurs spécificités pour en déduire leur impacte stylistique sur 4 sakés de la brasserie Moriki Shuzo – game Rumiko no Saké.

Avant tout, pourquoi préparer un shubo ? Le brasseur pourrait observer sa meilleure cuve en fermentation et l’utiliser pour en ensemencer d’autres. Cependant cette méthode ne donnera pas des résultats constants. Le levain ne sera pas en quantité nécessaire, ni le plus vigoureux et manifestera un risque d’accueillir d’autres micro- organismes que ceux désirés. C’est pour cela que le shubo est travaillé comme un milieu acide pour empêcher la prolifération de microbes indésirables. Historiquement, la méthode utilisée pour augmenter le niveau d’acidité consiste à cultiver des bactéries lactiques désirables. Cela permet à sélectionner et cultiver la levure la plus efficace dans le shubo lui-même. Une autre méthode plus récente consiste à ajouter directement de l’acide lactique. La façon dont l’acide lactique est produit ou ajouté affecte également les qualités gustatives du saké.

Une première méthode de shubo « vieille école » est le bodai- moto 菩提酛 ou mizu- moto 水酛. D’origine bouddhiste, datant du 14ème siècle il aurait été développée par les moines du temple Shoryaku – ji à Nara. Bodai-moto est un shubo spécifique qui utilise du riz cru et l’activité des bactéries amylolytiques et les bactéries lactiques naturelles Leuconostoc mesenteroides. Le riz cru et une petite quantité de riz cuit à la vapeur sont mélangés avec de l’eau dans des conditions plus chaudes, pour créer le Soyashi-mizu (« eau vantée, louée »). Le sojashi-mizu est laissé pendant trois à huit jours pour que les bactéries lactiques naturelles commencent leur propagation par fermentation hétérolactique. Aucun kōji n’est utilisé, le riz cuit à la vapeur et le kome-kōji ne sont ajoutés qu’après l’obtention du Soyashi-mizu. Le seul saké commercial connu à utiliser le bodai- moto est aujourd’hui Gozenshu 1859 de Okayama. Le saké de type bodai – moto a tendance à avoir un fort caractère lactique. Certains exemples peuvent aussi être assez « funky ». L’acidité élevée est une autre caractéristique des bodai- moto.

Le Kimoto 生酛 a été développé après le bodai-moto avec des preuves historiques écrites datant de la fin du 17ème siècle à Nada (préfecture de Hyogo), étant considéré comme une méthode traditionnelle de shubo utilisée pendant la saison froide.
Bien que le vieux Kimoto puisse être assez “funky”, la particule « ki » signifiant “pur” ou “vrai” suggère que les sakés résultants étaient plus nets que le Bodai – moto.
Kimoto utilise la laborieuse méthode yamaoroshi (山卸し) pour écraser le mélange riz/kōji en “purée” avec des piges ressemblant à des rames (kai). Des chants traditionnels aident les brasseurs à rester dans le rythme et garder une trace du temps. Tout d’abord, les bactéries dénitrifiantes se multiplient dans la “purée” et commencent à produire le nitrite. Ensuite, les bactéries lactiques se développent, produisant de l’acide lactique. Les effets combinés du nitrite et de l’acide lactique inhibent la croissance de la levure aérobique à voile et, entre-temps, le riz est progressivement hydrolysé et saccharifié, permettant l’accumulation des nutriments nécessaires à la croissance de la levure. Des températures basses sont également nécessaires pour éviter la contamination. Après 25-30 jours, cette méthode longue est complète. Chez Moriki Suzo elle dure même 40 jours étant la base du Tokubetsu Junmai Kimoto 60%.  Brassé avec du Hattannshiki et quasiment en levure indigène il combine de superbes arômes de nectarine avec les marqueurs Kimoto : yaourt et poudre de riz sous un voile lacté. Le palais sec, lisse et soyeux mais texturée, montre une acidité vibrante, notes salines et une longue finale savoureuse, riche en umami ou une tonalité poivrée procure une touche généreuse. Le saké élaboré par la méthode Kimoto a donc généralement une saveur et une richesse supplémentaires, une acidité plus élevée, plus d’umami et de peptides.

En 1909, peu après la création du NRIB, le professeur Kinichiro Kagi découvrit que le yamaoroshi n’était pas nécessaire au développement de la levure dans le shubo. Sa nouvelle technique a donc été appelé « yamaoroshi hai-shi » signifiant « arrêter le yamaoroshi », simplifié en yamahai! 山廃・山卸廃止酛 Yamahai et Kimoto suivent les mêmes étapes, sauf pour le yamaoroshi, donc la température de brassage devrait être plus élevée pour yamahai. Yamahai utilise également le procédé « mizu-kōji » pour aider à mieux extraire les enzymes kōji. Tokubetsu Junmai Yamahai Omachi 60% offre un nez intense au voile lactique profond, exprimant des arômes tels que l’yaourt, marquer aussi du yamahai, complété par la pomme et la prune jaune, aux teintes d’amande, sur un fond terreux distinctive du riz Omachi travaillé ici en ferment quasi- indigène. La bouche est de profile sec, l’acidité est fraîche, élevée pour un saké, tandis que la texture dense se montre riche en umami. Savoureux, salin, sa finale est fraîche et revigorante, dans l’esprit des moto traditionnels.

Le Sokujō 速醸酒母 est le shubo rapide, inventé à la fin de l’ère Meiji (vers 1909). En 1899, Eda Kamajiro a eu la brillante idée de raccourcir les techniques traditionnelles qui produisaient un shubo acide et ajoutaient directement de l’acide lactique.
La culture mère peut être élaborée en toute sécurité avec peu d’influence des fluctuations de température et sans risque de contamination microbienne.
Il faut deux semaines de moins que le kimoto pour le produire, offrant de grandes économies de main-d’œuvre et une qualité constante. L’eau, le Kome-kōji et le riz cuit à la vapeur respectent les mêmes proportions que pour les méthodes traditionnelles, la différence provenant de l’ajout de 0,65% d’acide lactique qui abaisse le pH à environ 3,5 – 3,8 protégeant l’environnement. Junmai Daiginjo Yamadanishiki 40% se montre parfumé aux notes de pomme croquante, melon vert et poire, floral aux touches d’amandes, une teinte anisée. Sec- tendre, il donne un ressenti frais, malgré l’acidité modérée. La bouche se dessine sur un volume rond et ample, rehaussé par des touches légèrement chaleureuses, son cœur généreux apporte texture et suavité. L’umami léger se mêle aux fruits frais aux notes d’amandes et quelques teintes poivrées sur la finale longue. Un travail à température légèrement pus élevée que d’habitude pour ce Junmai Daiginjo permet d’avoir une acidité plus présente et un plus d’acides aminés.

Le riz de seimaibuai supérieur est moins soluble, les minéraux et les vitamines dans le riz activent la vitalité de la levure. Tokubetsu Junmai #9 Yamadanishiki, Isenikishi 60% exprime un fruit délicat, telle la pomme, relevée de touches de peau de banane et biscuit de riz sur fond lactique. Sec et souple, d’acidité modérée mais équilibrée, sa texture se montre riche en umami, dense, avec une générosité parfaitement intégrée. La finale est épicée, persistante, savoureuse d’umami, aux notes zestées et caractère mentholé, rafraîchissant. Cependant, le Seimaibuai n’est pas un facteur à prendre isolé. Certes, le polissage moderne a mené à l’abandon des méthodes traditionnelles au profit des sakés plus aromatiques, moins acides et moins umami. Corrélé avec la température de fermentation et la levure comme souligné ci- dessus il joue un rôle important dans la production de sakés issus du Sokujō – moto tout en étant frais et savoureux.

 

Pour conclure avoir quatre sakés de la même brasserie travaillés avec trois types de moto nous à permis de comprendre l’impact de chaque type de culture mère sur les caractères aromatiques et éléments de structure. Les deux Sokujō – moto avec deux Seimaibuai et un travail différent de température et levure ont aussi permis d’évoquer l’influence du polissage plus que celle de la variété de riz sur les caractères organoleptiques des sakés. Nous avons ainsi remonté le temps, depuis les techniques les plus modernes aux méthodes les plus anciennes avec de données de sando et amino- sando concrètes à l’appui en plus de la démonstration par nos sens. Si l’importance du choix du moto n’est plus à démontrer, son impacte stylistique génère des implications profondes sur l’usage du saké, sa température de service et ses accords culinaires.

 

« La brasserie de saké Moriki Shuzo est située dans la région d’Iga dela préfecture de Mie, ville natale d’un riz et d’une eau de hautequalité. En 1998, la brasserie a décidé de ne plus ajouter d’alcooldistillé à ses produits, se spécialisant dans les sakés Junmaiqui sont brassés uniquement avec du riz, du koji et de l’eau.Visant un saké qui se marie bien avec une large gamme de plats,leurs produits sont appréciables à travers un large éventailde températures, tout en exprimant des arômes restreints. Certaines marques, telles que « Hanabusa », sont fabriquées àpartir de riz cultivé sans pesticides ni herbicides, rehaussant lasaveur originale du riz Yamada Nishiki.

Directrice générale et première Toji de la brasserie, Mme Rumiko Moriki s’est impliquée dans l’entreprise après la maladie soudaine de son père. À l’époque, les brasseries de saké étaient interdites aux femmes, ce qui a provoqué des épisodes difficiles. Mme Moriki a peu après fait la découverte du célèbre manga « Natsuko no Sake » (écrit par M. Akira Oze) sur une femme qui a repris une brasserie et qui approuvé de la difficulté à assurer la production de saké. C’est en fait M. Oze lui-même qui a généreusement conçu l’étiquette du Junmai « Rumiko no Sake », qui s’inspire directement de son œuvre originale. De nos jours, la responsabilité du brassage a été confiée à Toji Rie Toyomoto, qui a accumulé de longues années d’expérience dans le domaine. La brasserie Moriki Shuzo est maintenant connue pour être le foyer de cesdeux générations consécutives de femmes Toji, une fierté pour l’entreprise. Morikiattire également l’attention des amateurs de saké de tout le Japon pour la rareté et la valeur de ses produits. »

Anna Akizuki, CEO Sakeist