Coup de projecteur sur le Cabernet franc au Château Jean Faure
Coincé entre Château Cheval Blanc et Château La Dominique, Château Jean Faure a gardé une dimension de terroir historique, classé déjà au rang de « Premier cru de Saint Emilion » en 1893. Domaine viticole ancien, attesté au XVIème siècle par le patronyme « Jehan Faure », jurat de Libourne et premier propriétaire, le château est toujours resté une propriété familiale, passant par les mains de 6 familles. En 2004, Olivier Decelle lui apporta un nouvel élan. Le domaine est aujourd’hui bio et en route vers sa certification en biodynamie « Biodyvin » pour 2023. Cette même année, Château Jean Faure devint le centre névralgique du Cabernet franc, organisant le premier symposium lui étant dédié.
Cela ne surprend plus personne, car au Château Jean Faure l’on cultive 65% de la propriété en Cabernet franc avec une optique plutôt massale, thématique sensible du symposium, abordée notamment par le célèbre pépiniériste Lilian Bérillon, intervenant de l’ évenement.
Avec Marie- Laure Latorre aux commandes depuis le millésime 2018, le Château développe aussi une optique écologique, en plus d’être bio et bientôt biodynamique certifiée. Ces références environnementales ont été doublées par la certification ISO 14000 en 2019, certification sur process, avec une vraie optique d’assurance qualité, encore plus forte que la HVE, autre label détenu par le Château. Ce qu’elle apporte en plus est la certification de la gestion de l’électricité, des déchets et de l’eau de manière écologique. En base de cette philosophie les cuves en bois ont été éliminées car trop gourmandes en consommation d’eau, pouvant aller jusqu’ à 300 hl.
Château Jean Faure s’inscrit dans l’axe de préservation de la biodiversité par la plantation de haies, l’emplacement des ruches. Le domaine de 18 ha puise sa force dans ses sous- sols à 80% argileux aux profondeurs de 30 à 100 cm, rendant la contrainte hydrique quasi- impossible. Le système de drainage de ces sols a mené à la récupération respectueuse des eaux et l’établissement des plans d’eau, des marres qui promurent la biodiversité. Adeptes des engrais verts – enherbement naturel un rang sur deux, avec deux rangs sur trois roulés – cela permet de garder la fraîcheur au pied de la plante, avec un delta de température de 10°C. La vision environnementale réside aussi dans l’usage d’un enjambeur électrique et la suppression des bougies antigel trop polluantes, remplacées par des éoliennes.
En termes de packaging, il est souvent plus difficile de faire changer l’opinion du client, quand il s’agit d’un Premier Grand Cru Classé de Saint Emilion. Cependant, à partir de cette campagne « en primeur » le domaine propose d’envoyer les livrables en carton en alternative de la traditionnelle caisse en bois, en soutenant le choix du client pour les premiers par des avantages prix sur les bouteilles. Le bouchage respecte les codes des grands vins de Bordeaux avec bouchon liège naturel, sourcé néanmoins chez Société Nouvelle de Bouchons Trescases de côté de Perpignan, pour rester dans une optique de proximité et d’encouragement des entreprises locales. Toute une réflexion se porte aussi sur les encres pour les étiquettes. En effet, si le Château à opté pour de l’encre écologique dans les travaux bureaucratiques, les étiquettes des grands vins bordelais comportent souvent des dorures traditionnelles. Malgré la difficulté de s’en passer, le domaine songe à des alternatives dans l’avenir.
A la cave, le travail va dans le sens du respect total de la baie : cuve béton, y compris pour une partie de l’élevage, pas de sulfitage en vinification, levures indigènes, l’introduction des œufs en ciment et en grès en complément des barriques de chêne français à 35% neufs, et 30% d’un vin. Un itinéraire respectueux aussi par les techniques mécaniques douces et l’élevage sur lies fines qui maximise la fraîcheur réductive des arômes, pour des vins de longue garde tout en finesse.
Château Jean-Faure 2020
Le millésime qui avait mis tout le monde à l’arrêt lors de la pandémie, a laissé place à l’épanouissement sans limites de la nature. Marie- Laure Latorre nous raconte les moments privilégiés, lors du confinement : venir contempler les vignes lors du printemps doux qui suivait un hiver pluvieux, mais sans austérité. La fleur fut remarquable, le beau temps se poursuit avec les mois de juin et juillet chaud et ensoleillés, rafraîchis par deux petits orages à mi- août. Un Cabernet franc vite mur, des Merlots précoces, une vendange qui a eu lieu tôt globalement, mais sans contrainte, jusqu’au 3 octobre. L’alternance des nuits fraîches et des journées chaudes a préservé l’éclat du Cabernet franc, permettant au domaine d’assumer pleinement son identité et de travailler les Merlots au service du cépage signature de Jean Faure.
Cassis, cerise et florlité s’entrelacent de nuances hérbales, sur fond de toasté épicé. La bouche veloutée s’articule sur une acidité fraîche et des tanins mûrs, soutenus et finement granulés. L’ intégration du bois est remarquable, il apporte des touches épicées, toute en dentelle se prolongeant sur la finale longue et dense, aux inflexions florales, pour rebondir sur le cassis juteux. Séduisant malgré sa jeunesse, il est promu à une garde de 15/20 ans.
Château Jean Faure 2019
L’hiver doux laissa place à un printemps frais, à l’inverse de 2020. Le bel été chaud et sec s’acheva avec des vendanges étalées classiquement entre mi- septembre et première semaine d’octobre, par beau temps, avec quelques gouttes fin septembre. La grande originalité du millésime, l’inclusion de 5% de malbec vendangés vers le 20 septembre.
Comparé au caractère aérien de 2020, le 2019 se montre mur, par son mélange de fruits noirs et rouges, épicés et chocolatés. Une petite touche de thé et de potpourri vient s’insérer dans un ensemble complexe en voie de développement, mais de structure juvénile, presque austère encore. Une attaque ample et veloutée, la ligne de fraîcheur et une réelle colonne vertébrale tannique s’enroulent de chair, d’un tactile séduisant, imprimé de fruit et de cannelle, pour finir savoureux, sur une pointe de graphite. Longue potentialité, avec une perspective de 20 ans.
En guise de conclusion, l’organisation du premier symposium du Cabernet franc au Château Jean Faure, Premier Grand Cru Classé de Saint Emilion à forte identité du cépage, tire de l’évidence. Retracer son histoire dans un endroit où poussent des vignes de Cabernet franc datant pour certaines de 1930, concorde aussi avec des perspectives d’évolution lumineuses, car les sous- sols argileux s’y prêtent parfaitement dans le cadre du changement climatique. Parler des sélections massales et de la biodiversité s’inscrit naturellement dans le paysage du Château Jean Faure, aux côtés de tout un questionnement porté sur la vinification respectueuse de ce cépage considéré par certains comme une « Diva ». Bien que les questions n’aient pas eu de réponse tranchée, comme souvent dans le monde du vin, les conférences, tables rondes, dégustations et échanges ont mis un coup de projecteur bien mérité sur ce patriarche de la famille des Carmenets et sur un Château qui le cultive à la perfection.