Bercés par les chants des cigales et éblouis par la luminosité émanant des roches blanches des Alpilles, nous sommes bien dans les Baux de Provence…
Compte- rendu de sortie pédagogique, Les Baux de Provence, 28 juin 2023
Bercés par les chants des cigales et éblouis par la luminosité émanant des roches blanches des Alpilles, une partie d’étudiants de l’ICOP Formations se trouva dans les Baux de Provence le 28 juin, pour la dernière sortie pédagogique de l’année académique, en compagnie de Florent Gaillard – professeur d’œnologie et moi- même.
La visite est quelque part sortie du cadre, en incluant aussi le Domaine d’Eole qui propose ses vins en AOP Coteaux d’Aix en Provence, bien qu’ils pourraient être classés en Baux de Provence. Sans pour autant faire le grand écart, la propriété se trouve aussi dans le Parc Naturel Régional des Alpilles, non loin du Château Romanin, halte suivante. Le périple finit au Mas de la Dame. Si ce voyage ne prétend pas donner une vue en largeur et en profondeur de l’appellation, elle permit de tracer ses grandes lignes et de comprendre par les discussions et dégustations que nous avons à faire à une AOP à la fois unie par plusieurs traits, mais aussi faite d’un patchwork d’identités fortes. Cet écrit retrace brièvement ses grandes lignes, pour partir sur les traces des trois visites en quelques commentaires de vins.
Que c’est beau les Baux
Les quelques 250 ha de vignes des Baux, récemment bio certifiés à 100% s’étalent sur huit villages à noms chantant le sud : Les Baux-de-Provence, Fontvieille, Maussane-les-Alpilles, Mouriès, Paradou, Eygalières, Saint-Etienne-du-Grès et Saint-Rémy-de-Provence. Les onze domaines forment un cercle autour du village des Baux de Provence, un des plus « beaux villages de France ». Connue pour ses rouges (48% de la production), dont j’ai eu l’occasion de vérifier le potentiel à travers une dégustation d’une centaine de cuvées pour les 20 ans de l’AOP en 2015, les Baux produisent 7% de blancs depuis 2010 et proposent aussi des rosés à la hauteur de 45%. Couleur d’émergence plus récente, le rosé des Baux s’éloigne codes des vins de Provence et affirme sa diversité d’un domaine à un autre. Côté cépages le Carignan et la Counoise apportent sel et poivre aux rouges et rosés élaborés à base de Grenache, Syrah, Cinsault, plus connus dans la Grande Provence, incluant aussi Mourvèdre et Cabernet Sauvignon. Pour les blancs nous quittons la suprématie du Rolle pour s’approcher du Rhône Sud : Grenache Blanc, Clairette, Roussanne et Bourboulenc avec une pincée d’Ugni Blanc. Par ailleurs ces grandes étendues balayées par le Mistral font la transition vers le Rhône en termes de paysage et de style. Certaines domaines connus sont même sortis de l’AOP proposant leur vin en IGP.
Domaine d’Eole, l’exception
Domaine d’Eole et son œnologue Ludovic Vançon ouvrirent leur portes pour ce début de viré. Ce domaine d’environ 35ha est certifié bio depuis 1996 avec une optique quelque part peu interventionniste, mais gardant en vue la lucidité et la volonté de proposer des vins nets. Si Ludovic aime laisser s’exprimer les levures indigènes pour ses rouges il travaille néanmoins en levures sélectionnées pour les rosés. Les sulfitages restent en dessus des normes bio avec pas plus de 80mg/l en total pour les blancs ou rosés, tout en veillant à avoir au moins les 25 mg/l de sulfites libres et calculant avec soin ses sulfites actives proches de 0,8mg/l. A cette optique de faible intervention s’ajoutent la minimisation des extractions sur les rouges, cuvaisons entre 8-10 jours à 15 jours et pas plus d’un à deux remontages. Les cuves bêton en vinification à part rosés et blancs, complètent cette optique aux côtés de la diminution de la proportion de bois neuf et des barriques au profit des contenants alternatifs, tels les œufs en béton et les amphores. Quant à la vigne, l’enherbement s’impose avec un rang cultivé et un rang de végétation sauvage, le tout roulé pour garder fraîcheur au pied des vignes. Le domaine fait aussi le choix des port- greffes adaptés à ce climat sec et de sol peu profond avec ses R110 pour l’ensembles des 10 cépages.
Eole rosé 2022 Grenache Noir/ Cinsault/ Syrah/ Carignan/ Counoise est vinifié à une température de 16-18°C et inspire la fraise douce, la cerise sur fond floral. Doté de vibrance avec son acidité soutenue (pH 3,2 !) il se structure sur un léger tanin croquant, la finale exhale de fruit et d’herbes aromatiques qui sentent la garrigue sèche.
Souffle d’Eole 2022 Grenache Noir, Counoise, Carignan un rosé original, sans sulfites ajoutés bénéficie du séjour sur lies dans un but de protection réductive, il propose des aromes de mie de pain et baise rouges. Fruit souple, enveloppe de texture et toujours un esprit frais, avec une finale savoureuse, un peu sauvage.
« Vermentitude » Blanc 2022 Rolle s’exprime d’entrée floral, aux notes de pêche et de panification. Texturé, d’acidité modérée mais de ressenti frais, son toucher s’imprime de la granulosité apportée par l’élevage sur lies, la finale saline, sapide retrouve aussi le floral évoquant le genêt.
Rouge 2021 Syrah, Grenache Noir, Carignan Un nez lifté, floral aux accents d’iris et fond végétal frais, il dévoile myrtille et cerise avec un caractère tonique. Fraicheur moyennement relevée, tannin quelque part ferme mais pondérée, une finale qui rebondit sur le floral- végétal et le fruit juteux.
Le temple – Château Romanin
Non loin terres bénies par le souffle d’Eole, le groupe fut accueilli dans le temple de la biodynamie au Château Romanin. Le mot temple est tout à fait approprié à vue de la cave cathédrale construite dans une ancienne carrière, mais aussi selon les traces historiques. Romanin serait un endroit de culte druidique et aussi un autel de la déesse grecque Artémis. Le souffle du mistral se fait sentir aussi, mais nous sommes ici sur le versant nord des Alpilles, dans un cirque rocheux qui abrite 250 hectares (58 hectares de vignobles, 4 hectares d’oliviers et 2,5 hectares d’amandiers). Les amplitudes thermiques jour- nuit permettent une préservation des fraîcheurs et une vibrance aromatique qui font la patte du Château Romanin. Si le temps s’arrête dans le chai d’œuvre bâti selon des anciens principes astronomiques, la ronde des planètes, le magnétisme et les similitudes avec le fonctionnement de l’œil humain, la technologie de pointe au service du naturel ne manque pas dans la vinification. La batterie de cuves doubles, permettant le transfert entre la fermentation alcoolique et la malo- lactique par simple gravité se fait notamment remarquer.
Blanc 2021 Rolle, Roussanne, Grenache Blanc, Clairette (8 mois sur lies en cuve inox) Nez floral, évoquant bouquets mellifères, ainsi que la poire, la pomme golden, sur fond de panification. Palais ample, net, d’acidité modérée mais fraîche participant à une réelle structure, qui tient sur les phénoliques sapides.
Grand Vin Rosé 2021 Syrah, Grenache, Mourvèdre, Cabernet Sauvignon et Counoise Nez frais entre fraise et cranberry, avec une évolution sur le confit, sur les fleurs séchées, aux teintes d’épices. Bouche lisse et délicate ponctuée de réglisse, son acidité souple reste fraîche, le palais prend de la droiture et structure par les phénolique. La finale rebondit de fraise et rhubarbe avec une note de salinité.
Grand Vin Rosé 2022 Syrah, Grenache, Mourvèdre, Cabernet Sauvignon et Counoise Le nez propose un fruit mûr, expressif entre nectarine et notes exotiques relevées de reglisse, de cardamome. Bouche ample, au cœur juteux où se fond une acidité fraiche, la texture soyeuse et lisse se teint d’épices, donnant du relief à la finale.
La Chapelle Rouge 2019 Mourvèdre, Syrah, Cabernet Sauvignon (50% foudre, 50% inox 14 mois) Le nez floral évoque la violette, le cassis, la mûre, sur fond cacaoté épicé. Palais sec et juteux, entre fraicheur élevée et tannin ferme, sa structure est ponctuée de poivre, zan, et chocolat. Long et poudré, il rebondit floral sur la finale épicée.
Grand Vin Rouge 2018 Rouge Mourvèdre, Syrah (foudre 100%) Un nez encore sur la retenue par son toast réducteur, entre fumé et animal, il laisse percer la mure et le cassis à l’aération. Une bouche ample, d’acidité moyenne soutenue, le tanin se montre quelque part serré, austère. Dense et corsé, sa charpente se prolonge sur la finale comme une veine chocolatée.
Grand Vin Rouge 2016 Mourvèdre, Syrah, Grenache Noir, Cabernet- Sauvignon Le nez entame une phase évolutive pat les arômes de cerise confite, de marasque à l’eau de vie, dans un ensemble charnu et chocolaté. La bouche s’enveloppe de velours, dans un esprit ample, généreux ou perce le tanin ferme, mais de toucher poudrée.
Terre de légendes au Mas de la Dame*
Le tour finit accueillis par Jean Claude Podechard maître de chai au Mas de La Dame, sur le versant sud des Alpilles, dans un cadre à couper le souffle au cœur d’un domaine de 300ha, dont 58 plantés de vignes et 28ha d’oliviers. Pionnier des Baux, le domaine trace son histoire depuis l’arrière-grand-père des propriétaires – Caroline Missoffe et Anne Poniatowski, en 1903. La cave fût bâtie dans les années ’50 et cela fait bien 25 ans que le domaine travaille en bio. A la vigne, la face sud des Alpilles propose une alternance des sols pauvres et peu profonds au ras de la roche mère calcaire, avec des terres plus riches, alluviales. Les porte- greffes sont aussi adaptés selon sol et cépage entre le plus classique R110 pour la région et le 161-49. Les vendanges sont exclusivement manuelles avec tri sur table.
La vinification mêle tradition et modernité. Si l’on ne fait pas de stabulation à froid ni de recherche des thiols, allant jusqu’à un rosé élevé en fut, on ne s’empêche pas utiliser des levures sélectionnées. Les rouges combinent diverses méthodes qui la macération pré- fermentaire à froid, ou bien la macération carbonique pour un maximum d’arômes et de souplesse, qui les longues fermentations d’un mois, à température de 28-30° C avec deux remontages par jour et macération post- fermentaire. Le chai à barrique boutique se divise entre les rouges et celui des blancs et rosés bénéficiant de la technologie oxo- line pour un batonnage tout en douceur sans intrant d’oxygène (en raison de deux fois par semaine). A remarquer aussi une petite ligne de mise à la pointe de la technologie Fimer acquise en 2015 avec des becs de précision à flux laminaire. La maison à opté pour un bouchage exclusivement en Nomacorc et Diam, là encore un pas de plus dans le mélange de tradition et modernité.
Rosé du Mas 2022 Grenache Noir, Syrah, Cinsault, Mourvèdre – Nez rafraîchissant de pomélo et pêche, boosté par le croquant de baises rouges de grenade et groseille. Des senteurs de garrigue sèche arrivent en toile de fond. Palais frais et juteux, au cœur de bouche généreux entre épices et structure phénolique zestée. Long, reglissé pour rebondir sur une finale de pamplemousse juteux, relevé par les amers.
La Stèle Blanc 2022 Rolle en macération pelliculaire à froid, Clairette, Roussanne, Grenache Blanc Des fleurs blanches mellifères se mêlent aux herbes aromatiques, dans un ensemble fruité ponctué de pomme et de pêche. Palais dense, ample, et texturé, son acidité moyenne donne un ressenti frais par le relief des amers de zestes, pour rebondir sur le miel, les fleurs, une pincée de garrigue sur fond salin.
Coin caché Blanc 2022 Dominante de Roussanne, Rolle Le nez exhibe d’entrée le toast, le praliné, sur fond de brioche au beurre, laissant apparaitre la pomme golden, la nectarine parsemées d’épices. De bouche ample et de texture satinée, la fraicheur reste présente comme un fil conducteur tranchant dans la chair vers la finale pralinée, vanillée, au toast épicé.
Bois de Rose 2021 Majorité de Grenache, Mourvèdre Nez séduisant de grenade et orange sanguine, coulis de fruits rouges aux sensations boisées- épicées. La bouche se dessine sur un volume ample, charnu, de fraîcheur fondue dans la texture mais tenant sur les phénoliques épicées, la finale apporte reglisse, boisé encore marqué par les épices et les sensations tactiles, mais très sapide, salivant.
Reserve du Mas Rouge 2020 Syrah, Grenache noir, Mourvèdre Nez sudiste mêlant le fruit noire et rouge, au girofle et aux arômes balsamiques de camphre, poivre de Sichuan, quinquina. La bouche se dessine ample et juteuse, d’acidité modérée, tout en souplesse mais soutenue par un tanin ferme, enrobé de chaleur épicée qui se prolonge sur la finale.
La Stèle Rouge 2019 Syrah, Cabernet- Sauvignon en dominante, Grenache Noir, Mourvèdre Nez intense de cerise et mure, il s’enrobe de tonalités de caramel, coco et toast. La bouche ample, épicée et ronde, d’acidité fondue mais ressenti digeste s’ articule sur un tanin un peu ferme enveloppé de générosité.
Le vallon des Amants Dominante de Syrah en partie en macération carbonique, Mourvèdre, Carignan, Cabernet- Sauvignon Nez savoureux, floral malgré sa retenue juvénile. La bouche révèle souplesse du toucher ou s’insère la fraicheur salivante et le tanin encore ferme, la finale s’ouvre sur les épices et la floralité.
Coin caché Rouge 2021 Dominante de Grenache Noir, Mourvèdre Nez envoutant de prunes et cerises, cacaoté et épicé, une bouche ample, résonant de gourmandise, ou l’acidité pondérée et la générosité se tissent dans une texture enveloppante où se fond les tanins granuleux, laissant rebondir le juteux sur la finale longue, reglissée, poivrée.
*Cité dans les prédictions de Nostradamus, peint par Van Gogh, évoqué par Simone de Beauvoir, cette terre à vocation onirique aurait accueilli la Dame d’un chevalier mort en croisade, venue faire son deuil dans ce coin caché et perpétuer la mémoire de leur histoire dans ce Vallon des Amants…