20ème édition du Master of Port : le récit du challenge des sélections 2023
Les sélections du 20ème concours « Master of Port », édition 2023 se sont déroulées lundi 26 juin, en « terre portugaise », bien qu’en plein cœur de la capitale française – à l’Ambassade du Portugal à Paris. Cette rencontre biennale devenue incontournable pour les professionnels amoureux du Porto est un « challenge » sans pareil. Organisé par le Syndicat des Grandes Marques de Porto (SGMP), l’Institut des Vins de Douro et Porto (IVDP) et l’Union de la Sommellerie Française (UDSF) il a vu déjà s’inscrire près de 1400 professionnels depuis sa première édition en 1988. Seul 19 ont été couronnés de ce titre en France. Depuis peu le concours s’est exporté au Canada et au Royaume Uni voyant naitre trois autres Masters of Port. L’édition 2023 verra le sacre du 20ème lauréat en France.
Après l’inauguration par le président du comité technique – Bertrand Bijasson MOP 2012 et celui du président UDSF – Fabrice Sommier MOP 2010, les 27 candidats découvrirent les épreuves. Le comité technique n’est composé que d’anciens Masters of Port comptant cette année sur : Charles André Charrier, Arnaud Fatôme, Denis Verneau et moi- même. Pour ma part, il me revenait la tâche de proposer le sujet de dégustation et d’en choisir les vins.
Les candidats furent accueillis dans les salons de l’Ambassade du Portugal avec trois verres de Porto et un questionnaire basé sur la dégustation de ces trois vins en 30 minutes. Comme chaque édition, la dégustation se renouvelle pour apporter un plus de surprise. La difficulté cette année fut de sortir du cadre simplement descriptif des trois vins et de produire des analyses déductives.
Il été demandé, dans un premier temps d’identifier un Porto Vintage Churchill’s 2011 et d’expliquer sa démarche, tout en commentant la qualité et le potentiel de garde du vin. Pour cela faire, les candidats devaient approcher la dégustation en éliminant petit à petit les styles et catégories non- pertinentes par une technique dite « de l’entonnoir ». Le Vintage marquant 2011 facilitait la tâche et donnait suffisamment d’arguments de structure, arômes et couleur pour affiner la conclusion.
Les échantillons furent décantés avec grand soin par Aranud Fatôme MOP, afin d’offrir aux candidats un vin approchable, sans sédiments éventuels, servi au degré d’aération et de température convenables. On y découvrait un vin encore rubis- pourpre, profond aux arômes intenses et éthérés de cassis, sur fond floral évoquant l’« esteva », la violette, avec un développement fin, minéral et balsamique à la fois. Doux, mais de liqueur bien pondérée dans sa catégorie, il s’équilibrait par une acidité modérée et racée. Sa générosité guidée par les 20% vol. se fondait dans le toucher soyeux articulé sur la veine tannique ferme, mais de grain fin, chocolaté. Immense concentration entre le fruit charnu, la floralité, les épices et le cacao, la finale se montrait longue et complexe.
Johnny Graham, fondateur de la maison en 1981, avouait qu’en 39 vintages de sa carrière il n’avait jamais vu des Porto jeunes avec une telle couleur, structure et intensité. Il y a deux ans, il voyait ce Porto comme le vin idéal pour célébrer le siècle à venir.
Vintage 2011: L’hiver 2010/2011 a vu des précipitations légèrement supérieures à la moyenne laissant place à un printemps sec et chaud, avec trois vagues de chaleur, une en avril et deux en mai, la dernière apportant des « nuits tropicales », ainsi que des averses, des orages et de la grêle par endroits. En raison des conditions climatiques et sous la pression des maladies cryptogamiques, la quantité diminua en moyenne de 15% à travers la région. S’en suivi un juin littéralement torride, surtout à l’approche des festivités de la São João. Juillet et août furent tempérés, mais secs. La région accueilli des pluies bienvenues vers le 21 août et en début de septembre permettant une maturation uniforme. Les vendanges se sont déroulées sous une climatologie parfaite, légèrement chaude en début de récolte. Début octobre annonça déjà un vintage glorieux, chose confirmée à la déclaration unanime en 2013.
La complexité, l’immense concentration corrélées avec très peu d’évolution indiquaient clairement un vintage jeune, de très grande qualité. 2016/2017 auraient été encore plus éthérés, plus « disjonctés » dans leur esprit trop juvénile et sans aucun développement notable. La jeunesse indiquait plutôt un Vintage d’environ une décennie, ce qui ne laissait plus planer de doute. La structure imposante, mais harmonieuse du vin, sa concentration et son caractère encore très juvénile le présageaient comme un grand vin de garde, pour les 30/40 années à venir.
Les candidates devaient commenter ensuite la vinification d’un Porto Quinta do Noval LBV 2017 Unfiltered en anglais. A aucun moment il n’était pas demandé de le décrire ou de l’identifier. Il suffisait juste de trouver les bons arguments et de rester cohérent avec la vinification classique d’un Porto dans son style et sa catégorie. La difficulté résidait aussi dans le fait que ce LBV très juvénile provenait d’un grand millésime de déclaration unanime. Il était, de plus, non- filtré avec une qualité remarquable.
Rubis profond, il exprimait d’entrée un fruit pulpeux et intense entre prune et mûre, une touche de gelée de fruits noirs parsemée d’épices douces, cannelle, muscade. Un vin doux, de parfaite maitrise des sucres, son acidité modérément élevée apportait un caractère digeste pour tempérer les 19,5% vol. Les tannins soutenus, granuleux, s’intégraient dans un toucher pulpeux, ponctué d’un léger développement du fruit vers la prune et les épices orientales, se prolongeant sur une longue finale dense et concentrée.
Il suffisait aux candidats de mettre chacun de ces traits en lien avec des processus classiques de vinification pour un Porto de catégorie Ruby et de ce niveau de qualité : les cépages utilisés et leur assemblage, l’extraction, la température de fermentation, sa durée, le moment de la fortification, le type d’aguardente, l’élevage, la filtration et la maturation éventuelle du vin. Chose intéressante, un grand nombre de points pouvait être visés, même en se trompant et en prenant le vin pour un vintage, un SQV ou bien un Crusted… car, encore une fois, l’identification n’était pas demandée.
Dernier verre de ce questionnaire ludique : Porto Ruby de chez Cruz. C’est là où se trouvait le piège, car toute dégustation normale aurait commencé par ce vin. Il suffisait de prendre 30 secondes avant de commencer, sentir les 3 vins, pour pouvoir cerner par où commencer ! Car une fois avoir goûté les deux vins précédents, la dégustation en apparence simple de ce dernier pouvait être rapidement faussée.
Les candidats étaient demandés à discuter son potentiel commercial en commençant par donner son style : un Porto Ruby fruité et plaisant, aux tanins souples et chair généreuse tout en simplicité. Libre à eux ensuite de lui trouver les meilleurs débouchés commerciaux, les accords et usages alternatives pouvant aller jusqu’ à la mixologie. Le tout dans la juste mesure du prix et de sa cible de marché et de clientèle. Ce fut Charles- André Charrier qui pensa à ajouter ce piège en plus, car peu de sommeliers de palace ont l’habitude de songer à des vins sur le segment « plaisir en toute simplicité », pour une clientèle moins initiée. Le vin était bon et pouvait induire en erreur par son rapport qualité prix.
Pour donner suite au questionnaire « plaisir » et verre à la main, les candidats se sont soumis au quiz de haute volée en 40 questions à choix multiple proposé par Arnaud Fatôme MOP. Charles- André Charrier MOP proposa une carte de la région du Douro sur laquelle il fallait placer des quintas célèbres. Ce fût un exercice important, car un expert en vins de Porto doit intégrer l’emplacement des propriétés pour bien comprendre leurs caractéristiques climatiques, d’exposition et de topographie qui jouent sur le style et la qualité des vins, sans oublier aussi l’impact sur le prix via les contraintes du Beneficio.
Denis Verneau MOP apporta la dimension œno – touristique par son diaporama exposant des lieux de culture de la ville de Porto et de la région du Douro, un axe essentiel du tissu culturel du vin de Porto. Pour finir, le diaporama très technique du Président du concours – Bertrand Bijasson MOP : reconnaitre 5 quintas à travers des indices clés dès plus difficiles au plus approchables. Un vrai travail de détectif.
Son Excellence l’Ambassadeur du Portugal à Paris, Monsieur José Augusto Duarte à tenu à vérifier aussi les connaissances des candidats, en leur posant une question de dernière actualité, portant sur le vainqueur de la regatte des bateaux « bracos rabelos ». La réponse fut : Fonseca, maison couronnée le 24 juin 2023. Cela faisait aussi la transition vers le discours passionné de son Excellence, qui ouvra la cérémonie des annonces des résultats lors d’un cocktail tout au Porto, dans les jardins de l’ambassade.
Après délibération par le comité technique ont été sélectionnés 8 demi- finalistes. Pour citer la publication L’Hôtellerie- Restauration, « des candidats présents en demi-finale en 2021, il n’en reste que trois à nouveau capables de prétendre au titre. Il s’agit de Mattia Angius (Ciketto à Angers), Logan Guignot-Truffley (château Lafaurie-Peyraguey à Bommes) et Grégory Mio (La place d’armes à Luxembourg ville). Ils seront accompagnés par Seika Hosokawa (sommelière consultante à Paris), Quentin Loisel (Jules Verne à Paris), Fabien Etienne (sommelier conseil à Malte), Pierre-Alexis Mengual (Château L’Hospitalet à Narbonne) et Frédéric Schaetzel (Auberge de l’Ill à Illhaeusern). Un voyage devrait les conduire au Portugal à la fin de l’été avant les épreuves finales prévues à l’automne. »